Algérie : Programme de Prévention et de Contrôle des Infections à Bactéries Multi-Résistantes en milieu de soins

Professeure Wahiba Amhis, Présidente du Comité d’Experts Chargé de la Prévention des Infections associées aux soins, Chef de service, Laboratoire de Microbiologie. CHU Mustapha, Algérie

Le réseau algérien sur la résistance aux antimicrobiens a détecté des taux élevés de pharmacorésistance montrant, par exemple, que près d’une entérobactérie sur trois était productrice d’une bêtalactamase à spectre élargi, et une situation alarmante. L’Algérie avait mis en place, à partir de 2013, un système pour améliorer rapidement et efficacement le contrôle et la prévention des infections en milieu de soins, et en 2015 une Directive relative à l’hygiène de l’environnement des établissements publiques et privés a été publiée. Ces efforts ont porté des fruits, mais au vu d’une situation préoccupante, les autorités algériennes augmentent actuellement leurs engagements et initiatives pour contrôler les IAS.

La résistance des bactéries aux antibiotiques est considérée aujourd’hui par les instances internationales médicales, que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les Centers for Disease Control, CDC des USA, ainsi que l’European Centre for Disease Prevention and Control comme une menace mondiale. En effet cette résistance des bactéries aux antibiotiques n’a épargné aucun pays, que ce dernier soit riche ou pauvre, comme l’avait bien précisé le Dr Keji Fukuda, alors Directeur Général adjoint de l’OMS, en avril 2014, lors de la réunion sur ce thème. Cela étant dit, les moyens de transports modernes variés aidant, la diffusion de ces bactéries « BMR » (Bactéries Multi-Résistantes) s’est faite avec une très grande vitesse. Un exemple concret est celui d’Escherichia coli producteur de la carbapénémase NDM1, isolé en Inde en 2006, et qui a diffusé à travers tous les continents en moins de 4 ans. De nombreuses réunions ont été organisées par ces différentes instances pour alerter la communauté internationale sur la gravité de l’émergence de ces bactéries et des infections qu’elles engendraient. Elles ont abouti à la publication de recommandations ainsi que de lignes directrices (guidelines) sur la prévention et le contrôle de ces bactéries, la dernière étant celle de l’OMS publiée en 2017 (en anglais) pour les Entérobactéries résistantes aux carbapénèmes, les Acinetobacter baumannii et les Pseudomonas aeruginosa dans les structures de soin.

Les bactéries multirésistantes qui posent problème aujourd’hui sont les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM), les Entérobactéries productrices de bêta-lactamase à spectre élargi (E.BLSE), les Entérobactéries productrices des céphalosporinases, les Entérocoques résistants à la vancomycine (ERV), les entérobactéries (EPC), Acinetobacter baumanii (ABRI) et Pseudomonas aeruginosa (PRI) résistant à l’imipenème. Il faut signaler que ces trois dernières sont les plus inquiétantes, car elles peuvent être également résistantes à la colistine, molécule de dernier recours pour le traitement des infections associées aux soins engendrées par ces bactéries, d’autant plus qu’aujourd’hui très peu de nouvelles molécules se trouvent dans le pipeline des industries pharmaceutiques.

Le Réseau algérien sur la Résistance aux Antimicrobiens rapporte pour l’année 2016 des taux de BMR par espèce qui montrent que pratiquement une entérobactérie sur trois, soit 30,39 % (1309/4307) est productrice d’une bêta-lactamase à spectre élargi (BLSE), plus d’un Staphylococcus aureus sur trois soit 36,10 % (291/806) est résistant à la méticilline (SARM), plus d’un Acinetobacter spp sur deux, est résistant à l’imipénème, Enterococcus faecium est résistant à la vancomycine dans 21,42 % (33/154), Pseudomonas aeruginosa est résistant à l’imipénème dans 16,64 % (148/889), et ce qui est inquiétant c’est l’émergence d’entérobactéries productrices de carbapénémases retrouvées à un taux de 2,14 % (97/4523).

L’étude de l’évolution de ces bactéries multirésistantes, surveillées depuis l’année 2000, montre par ailleurs, pour le SARM, une ascension du taux de 35 % à 47 % entre 2000 et 2005, puis une diminution progressive de ce taux à 36 % en 2016, les E.BLSE surveillées à partir de 2004 ont connu des fluctuations, 29 % en 2005, puis diminution jusqu’à 17 % en 2007 et enfin augmentation du taux à 30,39 % en 2016. La résistance du Pseudomonas aeruginosa à l’imipénème est passée de 4 % en en 2001 à 16,64 % en 2016 avec des fluctuations en fonction des années sans dépasser ce taux, contrairement à l’Acinetobacter sp résistant à l’imipenème dont le taux a augmenté de façon exponentielle et dramatique de 2004 (3 %) à 2016 (55,24 %) avec un pic en 2015 à 65 %.

Devant cette situation alarmante, de taux élevés de BMR isolées dans nos hôpitaux ces dernières années, et rapportés régulièrement par le réseau, il était devenu urgent de mettre en place une stratégie de lutte contre la diffusion de ces BMR et par voie de conséquence, des infections associées aux soins à BMR. C’est ainsi que la direction de la prévention au niveau du Ministère de la Santé de la Population et de la Réforme Hospitalière, a crée en 2013, le comité d’experts chargé de la prévention et du contrôle des Infections Associées aux Soins (IAS). Ce comité avait pour mission d’élaborer un Programme National de Prévention et de Contrôle de l’Infection, comme recommandé par l’OMS. Pour cela les membres du comité s’étaient fixé comme priorités majeures l’élaboration de référentiels et la formation d’hygiénistes.

Le 30 décembre 2015, le premier référentiel sous forme de Directives relatives à l’hygiène de l’environnement des établissements publics et privés a été publié, il comprend une trentaine de fiches techniques portant sur le bio-nettoyage, la désinfection, la stérilisation, l’hygiène dans les cuisines,
la lingerie…

Le deuxième référentiel en cours de rédaction porte sur les différentes techniques de soins ainsi que l’hygiène des mains, les mesures de précautions standard, les mesures de précautions complémentaires, ainsi que les isolements, il sera publié fin 2018. Un référentiel sur la prévention et le contrôle de la diffusion des BMR est également en cours de rédaction.

Enfin, un programme de formation de médecins et d’infirmiers hygiénistes a été élaboré et sera effectif l’année prochaine, ceci dans le cadre de la création d’unités opérationnelles d’hygiène hospitalière, chevilles ouvrières de la lutte contre les infections associées aux soins, et garantes de l’application des différentes directives, dans les structures de santé algériennes. 

 

Professeure Wahiba Amhis est médecin, et professeure agrégée en microbiologie clinique, elle est présidente du comité d’experts chargés de la prévention des Infections Associées aux Soins, (IAS), et Cheffe de service au Laboratoire central de Microbiologie.

Elle a été cheffe de service au Laboratoire Central de Biologie (2010-2015) ainsi que Responsable de l’Unité d’Hygiène Hospitalière, et Présidente du Comité Antibiotiques. Présidente du comité d’experts chargés de la prévention des Infections Associées aux Soins, MSPRH. Elle est Professeure-enseignante en microbiologie à la faculté de Médecine d’Alger depuis 1985. Membre de la société algérienne de Microbiologie clinique depuis 2008.

Elle est aussi membre du Réseau Algérien de Surveillance de la Résistance des Bactéries aux Antibiotiques depuis 2007, et membre de la Société européenne de Microbiologie Clinique depuis 1997.